réseau d’expérimentation et de liaison des initiatives en espace rural
10 mars 2009
Intervention en plénière de Béatrice Mesini lors des rencontres habitat et rôle des élus en octobre 2008.
À l’instar de bien d’autres arrière-pays du littoral méditerranéen, le massif des Alpilles est devenu un espace résidentiel multi-polarisé dans l’aire métropolitaine. Le territoire, qui a l’une des plus faibles densités du département, se caractérise par la prédominance de l’habitat individuel sur l’habitat collectif : près de 86% des résidences principales sont constituées de maisons individuelles avec jardins, contre 38% en moyenne dans les Bouches-du-Rhône, département urbain par excellence et 56% en France. Ce mode résidentiel uniformise l’architecture par l’étalement pavillonnaire et banalise l’habitat méditerranéen traditionnel, pourtant caractéristique des villes, villages et bourgs.
Le nombre de résidences secondaires y a connu une forte progression depuis 1990 [1] (+45%) et a doublé depuis 1980. On observe aussi de nouvelles formes résidentielles de luxe, d’appropriation de cet espace convoité, par les « villages de vacances », qui proposent d’authentiques « vacances provençales », dans des résidences hautement sécurisées, avec des tarifs prohibitifs ciblant une clientèle très aisée (l’un d’eux affiche des tarifs variant de 1 400 € la semaine en basse saison jusqu’à 2 400 € en haute saison). Enfin, on doit souligner l’importance de la vacance, qui représente un volume d’environ 1 800 logements dans les Alpilles, soit environ 6% de l’ensemble des logements et dont la progression se poursuit. La gentrification [2] dépeint ce processus d’installation de nouveaux habitants, d’un niveau socio-économique plus élevé que celui des populations initialement résidentes.
La loi de solidarité et renouvellement urbain (SRU) 2000, qui entérine le principe de mixité sociale, ignore les dynamiques sociales, spatiales et culturelles entre les villes et les campagnes [3] qui devraient accompagner les débats sur l’« aménagement » des territoires. En limitant l’objectif de 20% de logements sociaux aux communes de plus de 3 500 habitants, la loi a provoqué une rupture de l’équité territoriale et de la cohésion sociale entre les villes et les campagnes. Outre le renforcement du processus de ségrégation par polarisation de l’habitat social en milieux urbain et périurbain, le dispositif laisse totalement en dehors de « l’effort national en faveur du logement social », quelque 33 943 sur les 36 782 communes françaises.
En contrechamp, les petites communes rurales de l’arrière-pays méditerranéen, non soumises au quota de 20% de logements sociaux, se » protègent » parfois explicitement, comme en atteste cette pétition affichée en 1999, à la pharmacie d’une commune rurale de notre périmètre : « Non aux logements sociaux aux portes de la Vallée de la Baux ». Une étude récente montre que le refus du logement social est beaucoup plus important là ou l’offre de logements est plus faible, voire nulle.
Envisagée depuis les territoires ruraux, la mixité souhaitée n’est pas seulement sociale mais aussi spatiale et culturelle. Les villages doivent rester accueillants, conservant à la société locale sa fonction d’interconnaissance, favorisant les lieux de faire et d’être ensemble en remettant l’habitat au centre du projet de territoire. Rééquilibrer la mixité sociale dans l’aire métropolitaine, notamment dans le ratio ville/campagne, permettrait à tout espace naturel d’être continuellement agi, vécu, vivant et durable. En constante progression depuis 1975 (+33%), la population du massif est composée majoritairement d’actifs (52%) avec une évolution caractérisée par une forte augmentation des classes d’âges de plus de 60 ans.
Un espace local d’expérimentation : l’éco-quartier d’Aureille
Situé entre collines et Crau, entre cultures sèches et cultures irriguées, le village provençal d’Aureille s’étend sur 2 173 hectares et compte 1 500 habitants. À l’instar des autres villages du massif, il a connu une forte pression démographique, avec une évolution de la population de +62% entre 1982 et 1999. La commune est aujourd’hui confrontée à d’importants problèmes induits par l’extension incohérente du village : difficultés de raccord au « tout à l’égout », mitage des espaces par les constructions, déséquilibre dans la forme spatiale du village bâti…
En outre, le village a connu d’importantes et récentes mutations en raison du rapide changement socio-économique de ses habitants. En premier lieu, avec une hausse du prix foncier supérieure à 50% en 5 ans, la majorité des ventes de biens réalisées a profité à des non résidents, dont le pouvoir d’achat est beaucoup plus élevé que celui des villageois locaux. La part des résidences secondaires sur le village s’est accrue pour atteindre une hausse de plus de 84% entre 1999 et 2007. Cette hausse du montant des transactions s’est accompagnée d’une augmentation majeure du prix des locations à l’année, renforcée par une baisse significative de l’offre. Beaucoup de propriétaires privilégient, depuis ces dernières années, les locations saisonnières à la semaine qui leur rapportent en quelques mois, le montant de « la rente » locative annuelle [4] . Deux autres tendances lourdes contribuent à alimenter le besoin de logements sociaux : le phénomène accru de décohabitation des ménages et celui de blocage des trajectoires résidentielles. Bon nombre de familles s’entassent dans des logements trop petits et diffèrent leur projet d’accession, en raison des prix prohibitifs, en locatif comme à l’achat.
C’est dans ce contexte que l’association Eco-habitats pour Tous a été créée à l’initiative d’habitant(e)s et d’un agriculteur local, grand propriétaire foncier sur la commune (1 200 ha), soucieux de freiner la spéculation. Présenté en conseil municipal, le 10 mai 2006, le projet porté par l’association se présente comme un éco-quartier d’une quinzaine de logements sociaux bioclimatiques en direction des jeunes, des familles et des anciens, construits avec des matériaux écologiques locaux, économes en termes d’espaces et de consommation d’énergie, mais aussi diversifiés dans leur architecture et insérés dans le paysage.
Le Parc naturel régional des Alpilles, chef de file des projets d’urbanisme durable
Aménagement ou déménagement du territoire ? La structure du Parc naturel régional des Alpilles, créée en 2007, qui regroupe le territoire de seize communes rurales s’est superposée à divers cadres d’aménagement du territoire. C’est aussi un territoire soumis à l’ensemble des normes de protection des milieux agricoles et naturels et des espèces animales et végétales. Les prescriptions réglementaires de la directive Paysage, reprises dans les documents d’urbanisme, concernent : la maîtrise de l’urbanisation (gel des zones non constructibles), le maintien du réseau hydrographique, le maintien des paysages naturels remarquables. À ces prescriptions, s’ajoute le zonage de protection induit par la protection des espèces végétales et animales, Natura 2000, Protection de Biotope, le Plan Intercommunal de Débroussaillage et d’Aménagement Forestier (PIDAF), les Zones de Conservation des Oiseaux (ZICO), les Zones Naturelles d’Intérêt Ecologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF), et les Zones de Protection Spéciale (ZPS) – directive oiseaux –, sans oublier les Plans de Prévention des Risques (PPR).
L’axe 3 du projet de la Charte du PNR Alpilles dénonçait l’identité architecturale menacée par un « plagiat fantaisiste de la maison provençale qui conduit à une banalisation architecturale qui affecte toute la Provence », proposant de définir des préconisations architecturales (intégrant environnement, paysage et fonctionnalité de l’habitat), de promouvoir une architecture fondée sur la simplicité de la maison traditionnelle, les savoir-faire de l’architecture locale, l’utilisation des énergies renouvelables et les modes de construction permettant une utilisation rationnelle de l’énergie. Le texte de la charte souligne que le Parc naturel régional s’engagera dans une politique volontaire pour faciliter l’accès au logement afin de « maintenir une mixité sociale réellement menacée ».
À la fois territoire de l’intercommunalité ou des politiques publiques d’aménagement, territoire environnemental des régions (administratives) ou territoire d’expérimentation pour les nouveaux principes du développement durable, le Parc est un territoire rural, homogène et cohérent, pour impulser une dynamique de mixité sociale, 13 des 16 communes du périmètre ont moins de 3 500 habitants et ne possèdent que peu ou pas de logements sociaux. Or on recense à peine plus de 1 400 logements sous statut HLM, ce qui représente seulement 6% de l’ensemble des résidences principales, contre – en moyenne – 16% dans les Bouches-du-Rhône, 12% en région et 16% en France.
L’intercommunalité Vallée des Baux-Alpilles, l’EPCI ensemblier des politiques locales d’habitat ?
Instaurée par la loi du 6 février 1992, la communauté de communes doit associer des communes au sein d’un « espace de solidarité en vue de l’élaboration d’un projet commun de développement et d’aménagement de l’espace en milieu rural ». Les actions entrant dans le champ « politique du logement » peuvent, entre autres, comprendre l’élaboration d’un programme local habitat, le développement de l’équilibre social de l’habitat et les actions en faveur du logement. Or, si la politique de l’habitat est une compétence obligatoire des communautés d’agglomération et des communautés urbaines, elle est optionnelle pour les communautés de communes. Après plusieurs années de sommeil, la CC Vallée des Baux-Alpilles, composée 25 867 habitants et de dix communes (dont la majorité a moins de 3 500 habitants et de la petite ville de St-Rémy de Provence) s’est relancée en 2008 sans trop de conviction, en regard de l’étroitesse de son périmètre, de la faiblesse de ses ressources et de l’iniquité des règles de représentativité en son sein. Une circulaire du 13 juillet 2006 est venue préciser la définition de l’intérêt communautaire en matière « d’habitat » au profit des communes et de leurs groupements. Les compétences « politique du logement et du cadre de vie » des communautés de communes et « équilibre social de l’habitat » des communautés urbaines et des communautés d’agglomération peuvent être regroupées sous le terme de « politique locale d’habitat ». Parmi les objectifs attendus, il s’agit de « favoriser la satisfaction des besoins de logements, de promouvoir la qualité de l’habitat et l’habitat durable ou encore de favoriser une offre de logements qui par sa diversité de statuts d’occupation et de répartition spatiale, assure la liberté de choix pour tous de son mode d’habitation »… Aux termes de la loi du 13 août 2004, les EPCI et, en deuxième rang, les conseils généraux, peuvent négocier avec l’État et l’ANAH la signature de convention de délégation des aides à la pierre pour une période de 6 ans, mais pour ce faire, ils doivent avoir la compétence « habitat ».
La délégation de compétence logement comprend notamment :
Cette recherche-action, engagée depuis 2006 vise à inscrire la singularité du mode de développement des villages ruraux méditerranéens, qui passe par l’aménagement équilibré et l’urbanisme durable, dans l’ensemble des documents d’urbanisme concernés par ces projets de territoire :
Plusieurs écueils subsistent dans le management institutionnel et politique de ces projets locaux d’habitats groupés qui prennent corps en milieu rural. Si le législateur a incité les territoires à se doter de projets de développement au sein desquels le volet foncier constitue un élément important, il apparaît qu’ils demeurent souvent lacunaires et sont peu pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques. À ce titre, les notions de gouvernance locale, de participation et de concertation restent trop souvent des affichages politiques sans application réelle, comme nous l’avons constaté in situ lors du lancement de la procédure du SCOT en Pays d’Arles, rendant difficile la restitution de la singularité des besoins et du mode de développement des milieux ruraux, progressivement invisibilisés par le processus de métropolisation.
Une deuxième difficulté réelle pour l’adossement de ces projets de territoire transversaux tient au cloisonnement des missions et financements entre Département, Région, État, Europe, ainsi qu’à la segmentation de leurs compétences en termes de logement social, d’aménagement équilibré, d’énergies renouvelables, d’urbanisme ou encore de développement durable.
Enfin, on observe sur le terrain une profonde distorsion des temps de l’action pour les opérations de construction de logement sociaux : temps programmatique long des collectivités territoriales, temps différé des mandats de l’action politique et temps irruptif de l’urgence sociale, pour les familles, les jeunes et les anciens en situation de mal-logement.
Béatrice Mésini-CNRS-UMR Telemme- MMSH Aix mesini@mmsh.univ-aix.fr