réseau d’expérimentation et de liaison des initiatives en espace rural
2 novembre 2008
L’Habitat, qui est le milieu géographique propre à la vie d’une espèce, est aussi le mode d’organisation et de peuplement par l’Homme du milieu où il vit. Je pense qu’il est intéressant de penser le second sens en fonction du premier. Car l’habitat au sens écologique du terme s’adresse à l’animal, donc également à l’Homme en temps que mammifère ni plus évolué (et encore moins d’une quelconque essence divine) ni meilleur que les autres. Une de nos spécificités est que nous pouvons, en tant qu’espèce, nous adapter à tous les milieux, toutes les niches écologiques et, par conséquent, empiéter sur celles des autres. Un mot donc pour définir avec précision ce qu’est une niche écologique.
Je reprends ici un passage de l’Invitation à la science de l’écologie du professeur de zoologie Paul Colinvaux :
« Etre une tarentule est un métier difficile qu’on ne peut pas faire en amateur. Nous pourrions dire qu’il y a une profession de tarentule. Il faut être bon en tout pour y survivre. Qui plus est, cette profession n’est possible que dans des conditions très restreintes. Il faut, en particulier, un sol forestier, un climat approprié aux hivers voisins de ceux qu’ont connus les ancêtres, des proies en nombre suffisant, et il faut de bons abris. Il faut également que le nombre d’ennemis naturels reste dans des limites raisonnables. Pour s’en sortir, non seulement chaque araignée doit être superlativement bonne dans son métier, mais il faut aussi que les circonstances favorables soient réunies. Si ni l’art d’être araignée, ni les conditions ne sont réunis, il n’y a pas de tarentule. La « niche » de la tarentule ne sera pas occupée [...]. Pour les écologistes, la"niche" est plus qu’un emplacement physique ; c’est une case dans le grand schéma global. La niche, c’est le métier, l’art de vivre d’un animal ou d’une plante. La niche d’une tarentule, c’est tout ce qu’elle doit faire pour se nourrir et élever ses petits. Pour y parvenir, elle doit s’adapter correctement à l’endroit où elle vit, et aux autres habitants de cet endroit. Tout ce que fait l’espèce pour survivre et resté « adapté », au sens darwinien du terme, constitue sa niche. [...] Ce qui est commun reste commun, et ce qui est rare reste rare, parce que la disponibilité de chaque niche, comme l’embauche pour chaque profession, est imposée par les circonstances. [...] De la même façon, il ne peut pas y avoir plus de tarentule qu’il n’y a de poste de tarentules, plus d’antilopes qu’il n’y a de poste d’antilopes, de pieds de chiendent qu’il n’y a de poste de chiendent. Chaque espèce a sa niche. Et une fois que la niche est fixée par la sélection naturelle, le nombre de ses occupants l’est aussi. La notion de niche débouche sur le problème de l’effectif sans qu’on ait à discuter la question de la reproduction. En effet, elle montre que la façon dont l’animal se reproduit influence très peu le nombre d’animaux présents. C’est là une idée très étrange pour celui qui la découvre ; il y a lieu d’y réfléchir très attentivement. Le niveau de reproduction ne modifie pas la taille finale de la population. [...] Le nombre d’individus qui peuvent vivre est imposé par le nombre de place dans la niche (postes) dans un environnement donné, et ce nombre est pratiquement indépendant de la vitesse à laquelle l’espèce se reproduit. »
Le sens de l’habiter serait de ce point de vue, la volonté de vivre dans une (ou des) niche écologique qui évite (autant que faire ce peut) la compétition avec les autres espèces animales comme végétales. On remarquera à ce propos que la racine latine du vocable habita est commune à l’habit (le vêtement, le paraître), à l’habitude, la façon de vivre (l’être)… C’est donc un ensemble, un mode de vie qu’il faut interroger. C’est la civilisation occidentale qu’il faut interroger et non accabler comme le font les imbéciles réactionnaires.
Voyons donc ce qui se cache derrière ce mot "habitude", ou plutôt l’habitus au sens que lui donne Pierre Bourdieu. [(L’habitus, c’est un système de dispositions intériorisées par l’individu au cours de sa vie, de ses apprentissages. Il s’agit de dispositions sociales, c’est-à -dire d’inclinaisons, souvent inconscientes, à percevoir, faire et penser d’une certaine manière issues de nos relations sociales. Chacun est fabriqué à partir d’expériences collectives, mais la somme d’expériences collectives emmagasinées par chacun et l’ordre de ces expériences lui sont propres. Chacun est donc irréductiblement singulier, singulier et collectif)]. D’où la voie, inspirée de Spinoza, d’une libération relative par la connaissances des déterminismes biologiques, sociaux-historiques, etc.
Sans cette réflexion de fond, nous risquons les mêmes déboires que la « Révolution d’Octobre ». Les meilleurs intentions peuvent malheureusement mener au pire, et pourquoi pas à une "dictature écologique", ou un repli égocentrique, un chacun pour sa sa gueule avec la bonne conscience d’avoir des installations « écologiques », et certains imbéciles peuvent alors acheter des gadgets sous prétexte que « ça marche au solaire ».
Tout ça pour dire que l’on ne peut faire l’économie d’une réflexion de fond afin de prendre connaissance des différents déterminismes réels [1]. Connaître pour découvrir et aimer le monde tel qu’il est [2] et non comme nous aimerions qu’il soit. Nous ne pourrons changer que ce qui nous est intelligible. Mais le temps, apparemment, n’est pas à la réflexion mais à l’action ; faire, faire, faire. Je m’explique. Nous voulons un monde plus juste. L’Homme pressé ira dans l’action et montera une association pour aider les plus pauvres par exemple, d’autre s’attaqueront au système juridique etc. Mais qui s’interroge sur ce qu’est la justice, le juste ? Car comment vivre dans la justice si nous ne savons pas ce que c’est. Comment vouloir être libre si nous n’avons pas défini la liberté.
L’écologie politique ne pourra continuer à faire l’impasse sur la philosophie sous prétexte que c’est « compliqué », que ça n’intéresse pas les gens. Nous, quelque soit notre étiquette, avons le devoir, comme les politiques, les journalistes, les éducateurs, de ne pas informer avec ce qui intéresse les gens mais de rendre intéressant ce qui est important. Il ne s’agit de donner, d’en haut, des définitions toutes faites, mais de donner à chacun la possibilité à la fois de construire ses propres définitions et d’être à même de comprendre celles des autres et de pourvoir, ensemble, les articuler.
L’héritage exceptionnel des Lumières est à repenser et non à jeter d’un revers de mains comme le font les imbéciles [3] sous prétexte de scientisme, de foi au progrès etc. Effectivement cet aspect à montrer ses limites, ses effets pervers et ses illusions, mais pour le reste, l’affirmation que la politique doit se fonder sur la raison et l’égalité des citoyens loin des illusions magiques et religieuses, la volonté de liberté et d’émancipation de l’individu à la fois instrument et fin de la collectivité, la volonté d’une certaine égalité des chances et des droits etc., tout cela est riche de promesses qui sont encore à conquérir.
Nous sommes dans une époque charnière, il nous faut une éducation à la vigilance intellectuelle et une formation philosophique et historique, alliée au développement de la poésie, du goût, de l’esthétisme, de l’imaginaire [4], bref une éducation à la fois à la compréhension du monde et à sa contemplation.
Là sera note nouvel habitus, contempler, comprendre, aimer, bref les bases d’un véritable respect, d’une liberté non entendue comme « je fais ce que je veux », mais je fais ce que je veux dans le cadre des impératifs de l’habitat, de la niche écologique.
En simplifiant et pour conclure [*l’habit, la parure, le paraître, l’esthétisme, la beauté du monde, l’habitus, la socialisation, la culture, le faire... et, enfin, l’habitat, l’ensemble dans lequel les deux premiers termes sont possibles et pérennes*].